Liège-Décroissance
Liège-Décroissance
Francis Leboutte, ingénieur civil
Document publié par ailleurs en mars 2019, mis à jour le 25 janvier 2024
La filière de production d’électricité nucléaire comporte de nombreuses étapes dont la plupart nécessitent beaucoup d’énergie d’origine fossile et donc émettent des gaz à effet de serre (GES), principalement : extraction du minerai, broyage, raffinage, enrichissement de l’uranium, fabrication des barres de combustible, construction et démantèlement des centrales, conditionnement et stockage des déchets.
Le nucléaire génère environ huit fois plus de GES que l’éolien par unité d’énergie produite (par kWh – kilowattheure). C’est là une affirmation étayée mais aussi minimale, car, pour plusieurs étapes de la filière nucléaire, les données ne sont pas disponibles ou incertaines : enrichissement, démantèlement et gestion des déchets pendant plusieurs centaines de milliers d’années.
Pour l’enrichissement de l’uranium, l’industrie nucléaire mondiale consomme annuellement 150 000 tonnes de fluor et de chlore qui peuvent constituer des GES dont le potentiel de réchauffement climatique est beaucoup plus grand que celui du gaz carbonique (CO2). Que deviennent-ils ? Quelle proportion est relâchée dans l’atmosphère ? Il n’existe pas de données accessibles pour répondre à ces questions.
La consommation de matière par kWh produit est 20 fois plus élevée pour le nucléaire que pour l’éolien. De plus, les matières consommées par le nucléaire sont pour l’essentiel non recyclables, car radioactives.
Pour ses besoins en uranium combustible, un réacteur de 1 GW (gigawatt) comme le réacteur T3 de la centrale de Tihange ou D4 de celle de Doel nécessite annuellement l’extraction d’environ 200 000 tonnes de minerai d’uranium*, auquel il convient d’ajouter 800 000 tonnes de « roches stériles », c’est-à-dire les roches extraites mais non traitées, car présentant des taux d’uranium trop faibles pour l’exploitation industrielle, soit un total de 1 million de tonnes de roche extraites par GW nucléaire et par an. Face à cette débauche extractiviste, en termes de « combustible », un champ d’éoliennes ne nécessite que du vent pour produire de l’électricité. D’autre part, l’émission de GES du nucléaire est promise à une croissance rapide du fait que le minerai à haute teneur en uranium a déjà été exploité et qu’il faudra de plus en plus d’énergie pour extraire l’uranium d’un minerai de plus en plus pauvre.
Auprès de nombreuses institutions comme le GIEC et de médias, le lobby du nucléaire, l’AIEA** en particulier, a imposé l’idée fausse que le nucléaire est une source d’électricité « bas carbone » qui émettrait aussi peu de gaz à effet de serre par kWh produit que l’éolien. Par rapport aux objectifs climatiques, à supposer qu’elle soit effectivement bas carbone (ce qui n’est pas), cette filière présente les défauts majeurs d’être trop chère à mettre en œuvre (plus de 2 fois plus que l’éolien par kWh produit) et trop lente à mettre en œuvre, la durée de construction moyenne d’un réacteur dépassant les 10 ans.
L’AIEA est on ne peut mieux placée au sommet de la pyramide institutionnelle de l’ONU, sous le contrôle du Conseil de sécurité et des puissances atomiques, une position idéale pour tromper son monde. Peu de temps après la publication du rapport spécial du GIEC d’octobre 2018 (« Réchauffement planétaire de 1,5 °C »), un des rédacteurs du résumé à l’intention des décideurs (Summary for Policy Makers), à qui j’avais demandé comment le GIEC pouvait se faire le vecteur d’une telle désinformation, m’a donné cette réponse : « Le sujet est politique et il n’est pas question qu’une agence de l’ONU en contredise une autre surtout quand cette dernière est en position dominante ».
Les vrais dangers du nucléaire sont connus et dépassent la question du climat : probabilité d’un accident grave augmentant avec l’âge des réacteurs et pouvant rendre inhabitable une région bien plus grande que la Belgique, pollution radioactive à toutes les étapes de la filière, menace sur la santé et, plus grave encore, le génome humain. Il n’y a pas de solution technique pour la gestion pendant plusieurs centaines de milliers d’années des déchets radioactifs de haute activité : ils seront un poids insoutenable pour les générations futures. Le coût financier d’un accident nucléaire grave (plusieurs milliers de milliards d’euros) n’est couvert par aucune assurance et serait reporté sur les citoyens, la Convention de Paris de 1960 ayant exonéré les industriels et les opérateurs de leur responsabilité.
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* Évaluation basée sur les données de l’exploitation des mines d’uranium en France (source : Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, France).
** AIEA : l’Agence internationale de l’énergie atomique est une instance de l’ONU qui dépend du Conseil de sécurité. Un des objectifs de l’AIEA est d’« accélérer et accroître la contribution de l’énergie atomique à la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier ». L’extraordinaire est que cet organe de lobbying est financé par des fonds publics.