Liège-Décroissance
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Le 16 septembre dernier, la RTBF publiait un torchon[1] digne des reportages les plus conspirationnistes au sujet de l’EVRAS[2] et du réseau qui relierait prétendument les divers critiques de ce Guide[3]. Nous proposerons dans cet article un décryptage, non pas de ce qui constitue une injure au journalisme, mais du seul sujet qui mérite un véritable compte-rendu.
Avant de présenter au lecteur une analyse du Guide dont nous avons parcouru (non sans peine) les 303 pages, il semble nécessaire de lever le voile sur les malentendus qui règnent au sujet de la sexualité infantile.
La psychanalyse repéra, au début du 20e siècle, ce qui était alors considéré comme un scandale pour la bourgeoisie : il existe une sexualité dès l’enfance[4]. Encore faut-il comprendre ce dont il s’agit dans la mesure où il n’est bien entendu pas question de confondre sexualité adulte et sexualité infantile.
Il est important de préciser que le sexuel n’est pas forcément lié aux organes génitaux : il existe en effet d’autres zones corporelles[5] par l’intermédiaire desquelles la pulsion trouve à se satisfaire[6]. Le but de la vie sexuelle consiste à obtenir un gain de plaisir à partir d’une de ces zones. Dans ce sens, il est difficile de soutenir qu’il n’existe pas, chez l’enfant, les indices d’une activité sexuelle. Les trois caractéristiques de cette activité sont : (1) elle apparaît par étayage sur une des fonctions vitales du corps ; (2) elle est autoérotique et (3) son but est sous la domination d’une zone érogène (oral, anal, etc.)[7].
Un autre psychanalyste contemporain de Freud nous éclaire de sa précieuse lanterne. Dans son article Confusion de langue entre les adultes et l’enfant, Sandor Ferenczi montre à quel point il existe une différence fondamentale entre le sexuel infantile et celui de l’adulte : si un jeu d’enfant peut prendre des formes érotiques, cela sera toujours au niveau de la tendresse. L’adulte, au contraire, y ajoute de la passion et peut donc inconsciemment être vecteur d’effraction traumatique dans son approche avec l’enfant.
Munis de ces quelques repères, nous pouvons commencer l’analyse du Guide EVRAS. Chaque partie du texte en italique en est une reprise mot à mot. Les soulignages sont de nous. Le reste du texte également.
Le Guide propose des « balises » pour aider les intervenants à « appréhender adéquatement les interrogations de chaque enfant». En outre, l’EVRAS se définit de la sorte : « processus éducatif qui implique notamment une réflexion en vue d’accroître les aptitudes des jeunes à opérer des choix éclairés favorisant l’épanouissement de leur vie relationnelle, affective et sexuelle et le respect de soi et des autres (p.11)». Nous serons bien entendu attentifs au langage aseptisé et managérial employé tout au long du recueil. Celui-ci « présente notamment les habilités à acquérir lors de chaque apprentissage », habilités entendues comme « les savoirs faires que les élèves devront acquérir ».
L’ensemble du Guide est divisé en plusieurs rubriques et sous rubriques par tranches d’âge (la première étant les 5-8 ans[8]).
Les présentations étant faites, nous proposons au lecteur de décortiquer le Guide en 8 thématiques.
L’EVRAS s’inspire de la définition de la santé donnée par l’OMS. Comme nous allons le voir, ceci n’a rien d’anodin : « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social ». Le Guide ajoute : « La sexualité, tout comme la santé, doit être considérée comme une ressource positive, et abordée de manière positive en lien avec ses différents aspects (physiques, mentaux, sociaux) ». Ici se dévoile la logique interne du Guide : celle qui est spécifique au Capitalisme, système dans lequel les individus sont usités comme de vulgaires ressources « positives » pour la Croissance. « L’EVRAS, dans une perspective de promotion de la santé, est réfléchie de manière positive et globale, et vise à fournir des ressources aux enfants et jeunes qui leur permettront de s’épanouir en considérant la vie relationnelle, affective et sexuelle comme un ensemble de ressources permettant d’atteindre un état complet de mieux-être » (p.13). La sexualité est ici réifiée : il s’agit, dans l’esprit du Guide, d’une ressource, c’est-à-dire d’un moyen permettant d’atteindre une fin, à savoir un complet mieux-être. Définir la santé comme « état de complet bien-être » fait par ailleurs plus volontiers référence au domaine du religieux (voir des drogues) que de la science.
Estime de soi. Connaissances (9-11 ans). Les bénéfices/avantages de l’amitié et de l’amour (p.53). Parler de bénéfices dans ce cadre correspond à une vision utilitariste des sentiments humains dans laquelle l’amour et la solidarité sont instrumentalisés et capitalisés pour le « bien » de tous. De plus, en s’adressant aux enfants de 9 ans au sujet du sexuel, le Guide ne respecte pas la période de latence[9].
Sentiments et émotions (5-8 ans). Connaissances/savoirs : les sentiments amoureux, les premiers amours, amours secrètes, béguins (p.40). Demander à un enfant de 5 ans de connaître les « amours secrètes » n’est pas approprié. Il s’agit d’une projection inconsciente de l’adulte sur l’enfant de ses propres fantasmes d’adultère.
Le consentement et l’intimité (5-8 ans). Apprentissage : comprendre les notions du consentement et de l’intimité et leur importance (p.84). L’âge légal pour avoir des relations sexuelles est 16 ans. Il est de fait inapproprié de parler de la notion de consentement à un enfant de 5 ans. Habiletés/savoir-faire : être capable de dire « non » en vue de préserver son intimité et son intégrité physique et morale (psychique). Y compris être capable de dire « non » au côté intrusif du Guide ? Attitude/savoir-être : reconnaître que l’intimité sexuelle est précieuse ; respecter le « non » d’autrui même s’il y a eu consentement au départ. Dans la mesure où un enfant de 5 ans ne peut, légalement et psychiquement, pas donner son « consentement au départ », cette rubrique est interpellant à plus d’un titre (voir La confusion de langue de Ferenczi).
Amour, amitié, sexualité (5-8 ans). Apprentissage : comprendre (…) la sexualité. Habilités/savoir-faire : illustrer, à l’aide d’exemples concrets, comment l’amitié, l’amour et la sexualité se vivent et s’expriment dans sa vie d’enfant, en ce compris les différentes orientations sexuelles et/ou romantiques ; savoir expliquer avec ses propres mots ce que signifie la sexualité globale, utiliser le langage sexuel (p.183). Si nous n’avons jamais été traumatisés par les cours d’éducation sexuelle reçus à l’école, les balises du Guide sont inappropriées pour un enfant de 5 ans. La sexualité infantile est gravement confondue avec la sexualité adulte par le Guide.
Les différentes étapes de la grossesse (5-8ans). Le Guide se justifie : « les enfants qui n’acquièrent pas de connaissances sur la grossesse et la naissance inventent leurs propres explications, souvent basées sur des mythes (p. 268) ». Ces mythes infantiles ont une fonction précise : protéger la psyché de l’enfant d’un Réel potentiellement effractant. L’EVRAS démontre ici sa complète méconnaissance du psychisme infantile et dévoile bien malgré lui qu’aucun psychologue digne de ce nom n’a été convoqué pour sa rédaction.
L’EVRAS encourage les enfants à se détacher de l’autorité parentale. Il mentionne, dans un lapsus révélateur : « en plus des échanges entre professionnel•les, certaines personnes-ressources des enfants et des jeunes (parents, tuteurs et tutrices, etc.) pourront contribuer, s’ils•elles•iels en ont l’envie, de manière informelle au développement de la vie relationnelle, affective et sexuelle de leurs enfants». Heureusement que, dans sa grande bonté, le Guide autorise les parents à éduquer leur progéniture.
Modification volontaire/involontaire du corps (12-14 ans). Attitudes et savoirs-êtres : reconnaître la pression négative de l’entourage (famille, ami•es, petit•es ami•es, etc) et savoir comment y faire face ou comment parvenir à s’en détacher (p.112). Le Guide fait certainement référence tout aussi bien aux excisions qu’aux modifications transsexuelles. De un, il est pernicieux d’amalgamer les deux. Ensuite, le Guide suggère qu’un enfant de 12 ans désireux d’entamer une démarche de transition hormonale devrait pouvoir se dégager de l’autorité des parents. Aurait-il la prétention de se substituer au Surmoi parental ? Dans tous les cas, il dénigre la limite et participe à la fabrication d’adultes atomisés maintenus en enfance psychique dont la finalité de l’existence sera la réalisation de toutes les envies. Le Capitalisme s’en lèche d’ores et déjà les babines.
Identité de genre et expression de genre (9 11 ans). Connaissances/savoirs : importance de l’autodétermination (p.162). Une note en bas de page explicite de quoi il en retourne : « le droit à l’autodétermination est un droit humain fondamental. Celle-ci reconnaît à chacun•e, indépendamment de son âge, de sa culture et de sa situation personnelle et sociale, la liberté de choisir sa vie sexuelle et relationnelle, de prendre ses propres décisions concernant sa santé sexuelle et reproductive ainsi que d’adopter les comportements qui en découlent, dans le respect des droits d’autrui[10] ». Un enfant de deux ans (ou, pourquoi pas, un nourrisson) pourrait, selon le Guide, prendre des décisions en toute indépendance. Ce passage atteste de sa perversion, dans la mesure où il dénie l’une des deux dimensions fondamentales de l’espèce humaine, à savoir la différence générationnelle (l’autre, la différence sexuelle, étant elle aussi particulièrement malmenée à vrai dire).
L’EVRAS mentionne que les enfants doivent être capables de « repérer des stéréotypes de genre dans les personnages principaux de films, dessins animés, séries, jeux vidéo, publicités, etc ». Bref, il encourage les bambins 2.0 à dire amen à tout ce que fabrique depuis plus ou moins dix ans l’industrie Walt Disney qui, par souci de non-discrimination, discrimine à tout va[11].
Pornographie et clichés (12-14 ans). Apprentissage : comprendre les usages de la pornographie, ses avantages et inconvénients (p.210). Le Guide pourrait-il expliquer en quoi consistent les avantages de la pornographie et pourquoi juge-t-il utile d’enseigner ceci à un enfant de 12 ans ?
Risques et opportunités (5-8 ans). Apprentissage : comprendre les risques et opportunités liés à l’utilisation des outils numériques, en particulier les réseaux sociaux (p.283). Le serpent se mord la queue : afin de prémunir les enfants contre la sursexualisation véhiculée notamment par les techniques numériques, l’EVRAS encourage les enfants à utiliser lesdites techniques numériques au lieu de les préserver le plus longtemps possible de ce fléau. Le système technicien[12] semble bel et bien s’émanciper de l’homme.
Sécurité et outils numérique (12-14 ans). Habilités/savoir-faire : flirter avec d’autres jeunes sur Internet/en ligne de manière sûre (p.288). Ici, l’EVRAS incite aux liaisons virtuelles, participant de fait à la noble entreprise postmoderne d’aseptisation des relations humaines.
Consentement (15-18 ans). Apprentissage : prendre conscience que le consentement est indispensable pour un comportement sexuel sain, désiré, agréable et consensuel avec un•e ou plusieurs partenaires (p.89). Signe des temps libertins, l’EVRAS encourage sans les nommer les partouzes.
Heureusement, le Guide est garant de la Loi. Connaissances/savoirs : les facteurs (dynamiques de pouvoir, alcool et autres substances, violences sexuelles) qui rendent le consentement impossible à donner (p.90). Pour l’EVRAS, toute relation sexuelle entretenue sous l’effet d’une substance telle que l’alcool n’est pas consentie et représente par conséquent d’un point de vue légal un viol, ce qui paraît quelque peu fallacieux. En somme, le Guide dit ceci : « baiser à plusieurs, tu peux. Mais pas si t’as bu ». L’idéologie bourgeoise brassant perversion et puritanisme[13] se dévoile tant et plus.
L’ensemble du Guide se prétend neutre et non idéologique. Pourtant, l’EVRAS se révèle plus dogmatique que scientifique.
Les premiers mots de l’EVRAS concernent l’écriture inclusive adoptée dans le recueil (p.9) : « dans un objectif d’inclusivité, de lisibilité et de compréhension (sic), nous avons fait le choix d’utiliser l’écriture inclusive dans la rédaction du Guide pour l’EVRAS (…). Dès lors, voici une rapide explication des règles d’écriture inclusive que nous avons adoptées : Utilisation des pronoms “il”, “elle” et “iel” ou “ils”, “elles” et “iels” pour inclure un maximum de personnes. Le “iel•s” est une contraction du “il•s” et du “elle•s”. Ce pronom n’est pas genré et convient alors aux personnes qui ne s’identifient ni au genre féminin ni au masculin. Il peut aussi désigner les deux à la fois ». Le lecteur est prévenu : le décodage du texte risque d’être ardu. « Lors d’utilisation de termes tels que femme*, fille*, homme*, garçon*, cela réfère à toute personne s’identifiant comme tel•les. Ce sera mentionné par une astérisque[14] dans ce document. Les démarches de l’EVRAS se fondent sur des valeurs de respect, d’égalité, d’accueil des différences et d’ouverture à l’autre. Elles visent à apporter une information fiable, impartiale ». Après cette longue description anti-discrimination (qui discrimine néanmoins les dyslexiques qui auront beaucoup de peine à déchiffrer un tel baratin), on ne peut pas vraiment dire que l’EVRAS soit particulièrement impartial.
Dans son lexique (p.25), le Guide faire référence à l’hétéronormativité : « en d’autres termes, c’est lorsqu’on considère que l’hétérosexualité va de soi, et qu’elle est utilisée par principe en référence. Ce Guide pour l’EVRAS se veut inclusif et nonhétéronormatif ». Le Guide suggère qu’il est amoral de considérer l’hétérosexualité comme principe de référence. Il encourage, par souci de non-discrimination, la stigmatisation des personnes qui ne pensent pas comme lui.
Anatomie mâle/femelle (12-14 ans). Connaissances/savoirs : organes sexuels femelles et intersexués internes : 2 trompes utérines (anciennement appelées trompes de Fallope) (p.110). Ah bon ? Depuis quand ? Pourquoi ? Qui a décidé ce changement de terminaison ? Nous n’avons trouvé aucune référence, ni sur Internet ni dans notre dictionnaire papier, qui indiquerait que « trompes de Fallope » soit un terme suranné. Peut-être que celui-ci est, d’un point de vue strictement phonétique, trop proche de « salope » et que cela a perturbé les inconscients quelque peu capricieux des auteurs du Guide.
Orientations sexuelles LGBA+ (9-11 ans) (p.168). Où sont passés les T Q et I ? Cet oubli n’est-il pas discriminant (ou peut-être représente-t-il un acte manqué révélateur d’une transphobie latente de la part des auteurs du Guide) ?
LGBTQIA+ et discriminations (9-11 ans) (p.173). Tout le monde est là, ouf ! Connaissances/savoirs : l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie, la transphobie, le sexisme, intersexophobie, l’acephobie, etc. Et l’hétérophobie ?
Attitudes/savoir-être : reconnaître l’impact positif des modèles LGBTQIA+ et l’importance de pouvoir identifier tous types de modèles positifs de manière à permettre à tous et toutes de s’identifier à des modèles qui leur correspondent. Voici un exemple typique du langage managérial qui gangrène le fascicule. De plus, quel humain non encore complètement soumis au procès de réification déployé par le Capitalisme (et toute orientation sexuelle confondue) ne se sentirait pas insulté à l’idée d’être assimilé à un modèle, « positif » ou non?
Les moyens d’avoir un enfant (9-11 ans). Apprentissage : prendre conscience qu’il existe plusieurs façons d’avoir un•e enfant (p. 271). Le Guide fait référence, sans les nommer, à des procédés qui chosifient et instrumentalisent les corps (PMA et GPA). Il ringardise, pour Le meilleur des mondes[15], le bon vieil acte d’amour et participe au déclin des pulsions de vie.
Comme tout outil dogmatique et totalisant, le Guide EVRAS est orwellien[17]. Il renverse le réel en usant de discours paradoxaux (l’idéologie c’est la neutralité). Il s’agit d’un modèle schizophrénogène propre à rendre l’autre fou[18]. Il utilise une novlangue (hétéronormativité) qui, tel l’arsenic, a pour effet la nécrose de ce dans quoi il s’écoule (ici le psychisme).
Le Guide indique : « L’EVRAS vise à soutenir la généralisation de l’EVRAS (en somme, le Guide a la prétention de s’autoengendrer, ce qui représente un fantasme que l’on retrouve spécifiquement dans la psychose) dans l’enseignement ordinaire, spécialisé et dans les secteurs de la Jeunesse et de l’Aide à la jeunesse, en apportant aux intervenant•es des balises communes pour favoriser l’autonomie des jeunes ». C’est donc par le dogme que l’EVRAS vise l’autonomie (A=non A)[19] où (hétéronomie = autonomie).
Puberté et fertilité (12-14 ans). Connaissances/savoirs : fertilité´ des personnes ayant un utérus : ovulation, cycle menstruel. Fertilité´ des personnes ayant un pénis : production de spermatozoïdes (p.121). Voici un cas limpide de Novlangue : personnes ayant un utérus pour ne pas dire femmes et personnes ayant un pénis pour ne pas dire hommes.
Identités de genre et expressions de genre (9 - 11 ans) : attitudes/savoir-être : développer son esprit critique face à la pression normative (p.162). En exhortant à développer l’esprit critique, l’EVRAS va à l’encontre de l’idée véritable d’un quelconque développement de l’esprit critique. De plus, le Guide, même s’il feint ne pas l’être, fait partie intégrante de la pression normative qu’il suggère de critiquer. Le lecteur se retrouve ici confronté de plein fouet à un exemple particulièrement interpellant de discours paradoxal.
12-14 ans. Connaissance/savoirs : le plaisir individuel, le plaisir partagé et le plaisir de(s) l’autre(s) ; la masturbation, l’intimité. Ici, l’EVRAS suggère que parler dans un groupe de l’acte le plus intime qui soit pour un jeune adolescent (la masturbation) revient à respecter son intimité.
L’EVRAS est non seulement intrusif, mais il emploie qui plus est un discours opératoire, managérial et paradoxal. Il s’agit d’une langue aseptisée et vidée de sa poésie qui risque d’être véhiculée aux enfants par l’intervenant, ce qui est peut-être l’aspect le plus inquiétant du Guide.
Nous avons visionné, pendant la rédaction de cet article, l’émission The Voice Kid à la télévision. Nous est alors venue à l’esprit l’idée que la société postmoderne devient incestuelle. Cette notion n’est pas à confondre avec l’inceste. Le psychanalyste Paul-Claude Racamier la définissait de cette façon : « Incestuel qualifie ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales[20] ». Le but de cet écrit n’est évidemment pas de réaliser une longue description théorique du concept. Que le lecteur retienne néanmoins ceci : l’incestualité découle d’une incapacité à fantasmer. Il s’agit d’un agir non agir relié à la paradoxalité. Il brouille les pistes ainsi que les différences sexuelles et générationnelles. L’exemple le plus typique est celui d’une famille dans laquelle l’intimité de chacun des membres n’est pas respectée (par exemple, la mère va aux toilettes en laissant la porte ouverte). Il règne dans ces environnements une forme de surexcitation sexuelle constante par laquelle l’inceste est réalisé sans être réalisé. L’indifférenciation y règne en maître. The Voice Kid est infecté des effluves de l’incestualité lorsque les (pseudos) stars de la chanson usent de leur pouvoir de séduction envers l’enfant afin que celui-ci décide de rejoindre l’une ou l’autre de leur équipe. De même, l’EVRAS sursexualise le rapport à l’infantile. Il dénie les différences sexuelles et générationnelles de telle façon à ce que les moutards soient psychiquement positionnés à la même place que les adultes. Il n’est pas question de prétendre, comme d’autres le font, qu’il existe des groupes pédophiles et sataniques tirant les occultes ficelles de ce traquenard. Nous souhaitons tout du moins dévoiler l’attitude inconsciente de l’EVRAS qui consiste à dénier l’inconscient. C’est ce qui le rend malheureusement peut-être plus pernicieux encore que toute initiative consciente.
In fine, l’EVRAS est un symptôme d’un phénomène plus vaste que lui, à savoir l’embourgeoisement total de la société[21] par lequel une parfaite étreinte entre perversion et puritanisme assure, main sur le cœur, la satisfaction des appétits les plus vulgaires de toutes les « classes » confondues.
Kenny Cadinu
Article initialement paru dans le 62e numéro de Kairos, journal antiproductiviste pour une société décente (novembre 2023).
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[1] « Complotistes, extrême droite et adeptes de théories pédocriminelles : voici le réseau des désinformateurs sur l’EVRAS en Belgique », https://www.rtbf.be/article/complotistes-extreme-droite-et-adeptes-de-theories-pedocriminelles-voici-le-reseau-des-desinformateurs-sur-l-evras-en-belgique-11256548
Tout porte à croire que l’article, non signé, a été rédigé par un stagiaire. Ou alors par Sacha Daout.
[2] Guide à destination des acteurs et actrices de l’EVRAS (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle en milieu scolaire), disponible sur le site www.evras.be (303 pages)
[3] La majuscule n’est pas de nous, mais du Guide lui-même.
[4] Sigmund Freud : Trois essais sur la théorie sexuelle.
[5] Les zones érogènes.
[6] En clair, indépendamment de la nutrition, nous prenons tous plaisir à manger. Même un bébé.
[7] Sigmund Freud : Abrégé de psychanalyse.
[8] Contrairement à ce que prétendent les mass-médias, le Guide n’a pas pour simple vocation d’être enseigné en 6e primaire et 4e secondaire.
[9] La période de latence se situe entre 6 et 12 ans (entre la fin de l’Œdipe et l’entrée dans la puberté) et correspond à une étape du développement psychosexuel pendant laquelle la pulsion sexuelle de l’enfant est partiellement mise en pause.
[10] Pourtant, p.268, le Guide ne voyait pas d’un très bon œil que les enfants s’inventent des mythes. En gros, les gosses peuvent s’autodéterminer, pour peu que cela soit fait en suivant la voie tracée par le Guide.
[11] Dans le sens où les castings sont clairement destinés à promouvoir les acteurs de couleurs ou les héros féminins. Voir, par exemple, les nouveaux Star-wars.
[12] Voir l’œuvre de Jacques Ellul.
[13] Voir l’œuvre du philosophe français Dany-Robert Dufour.
[14] Un astérisque !
[15] Voir le roman d’Aldous Huxley.
[16] Voir notre travail sur les discours paradoxaux, consultable à partir du 37e numéro de L’Escargot déchaîné : https://www.escargotdechaine.be/
[17] Voir le roman 1984.
[18] Voir le livre du psychanalyste américain Harold Searles : L’effort pour rendre l’autre fou.
[19] Voir Paul-Claude Racamier : Les schizophrènes.
[20]L’inceste et l’incestuel.
[21] Nous y reviendrons dans notre prochain article qui traitera de la Métamorphose du bourgeois de Jacques Ellul.