Liège-Décroissance

 

Réconciliation des estimations mondiales de la propagation et
des taux de létalité réels du COVID-19
John P. A. Ioannidis
21 février 2021

Traduction de la conclusion et d’extraits de la discussion de cette étude.

L’article original (PDF) : Reconciling estimates of global spread and infection fatality rates of COVID-19: An overview of systematic evaluations

Qui est John P. A. Ioannidis ?

John P. A. Ioannidis est un médecin, professeur d’épidémiologie et de santé publique à l’Université de Stanford (Californie). Il est considéré comme l’épidémiologiste le plus réputé au monde.

Conclusion de l’étude

Toutes les évaluations systématiques des données de séroprévalence(1) convergent pour indiquer que l'infection par le SARS-CoV- 2 est largement répandue dans le monde. En tenant compte des incertitudes résiduelles, les données disponibles suggèrent un IFR(2) mondial moyen d’environ 0,15 % et de 1,5 à 2,0 milliards d'infections à la date de février 2021, avec des différences substantielles dans l’IFR et dans la propagation de l'infection selon les continents, les pays et les lieux.

Remarque (du mpOC-Liège) : dans un article publié en mai 2020, il était déjà arrivé à une conclusion similaire (The infection fatality rate of COVID-19 inferred from seroprevalence data). Il y écrivait aussi : « At a very broad, bird’s eye view level, worldwide the IFR of COVID-19 this season may be in the same ballpark as the IFR of influenza (0.1%, 0.2% in a bad year) » – Traduction : « D'un point de vue très général, à l'échelle mondiale, l'IFR du COVID-19 cette saison pourrait se situer dans la même fourchette que l'IFR de la grippe (0,1 %, 0,2 % dans une mauvaise année) ».

____ Ces notes ont été rédigées par le mpOC-Liège :

(1) La séroprévalence est la proportion de personnes d’une population donnée qui, via une analyse de sang, montrent la présence d’anticorps à un virus particulier (aucun rapport avec un test PCR donc). Elle est souvent exprimée comme le nombre de cas pour 100 000 personnes testées.

(2) IFR (infection fatality rate) : taux de létalité réel. La proportion de décès parmi tous les individus infectés (y compris les asymptomatiques).

Discussion de l’étude

(extraits de la section « Discussion » de l’étude)

[…]
Même en corrigeant selon les exclusions/inclusions inappropriées des études, les erreurs et la séroréversion(1), l'IFR varie encore considérablement d'un continent et d'un pays à l'autre. La moyenne globale de l'IFR peut être de ~0,3 % à 0,4 % en Europe et dans les Amériques (~0,2 % chez les personnes vivant en communauté et non institutionnalisées) et de ~0,05 % en Afrique et en Asie (à l'exclusion de Wuhan). En Europe, les estimations de l'IFR étaient probablement beaucoup plus élevées lors de la première vague dans des pays comme l'Espagne, le Royaume-Uni et la Belgique et plus faibles dans des pays comme Chypre ou les îles Féroé (~0,15%, même le taux de létalité apparent(2) est très faible), la Finlande (~0,15%) et l'Islande (~0,3%).

Un pays européen (Andorre) a testé les anticorps de 91% de sa population. Les résultats suggèrent un IFR inférieur à la moitié de ce que les enquêtes ont déduit dans l'Espagne voisine. De plus, une forte séroréversion a été observée, même à quelques semaines d'intervalle ; l’IFR pourrait donc être encore plus faible. Des différences existent également au sein d'un même pays ; par exemple, aux États-Unis, l'IFR diffère sensiblement dans les quartiers défavorisés de La Nouvelle-Orléans et dans les zones aisées de la Silicon Valley. Les différences dépendent de la structure d'âge de la population, de la population des maisons de retraite, de l'efficacité de l'hébergement des personnes vulnérables, des soins médicaux, de l'utilisation de traitements efficaces ou néfastes, de la génétique de l'hôte, de la génétique virale et d'autres facteurs.

Le taux de létalité de l'infection peut évoluer dans le temps, localement et mondialement. Si les nouveaux vaccins et traitements permettent de prévenir de manière pragmatique les décès chez les plus vulnérables, le taux de létalité réel (IFR) de l'infection au niveau mondial pourrait théoriquement diminuer, même en dessous de 0,1 %. Toutefois, des incertitudes subsistent quant à l'efficacité réelle des nouvelles options, ainsi qu'à l'évolution de la pandémie et aux épidémies de SRAS-CoV-2 post-pandémique ou à leur réapparition saisonnière. L'IFR dépendra des contextes et des populations concernées. Par exemple, même les coronavirus du rhume banal ont un IFR de 10 % dans les épidémies des maisons de retraite.

Il est vrai que les études primaires, leurs synthèses et la présente synthèse des synthèses ont des limites. Toutes les estimations comportent une incertitude. L'interprétation comporte inévitablement des éléments subjectifs. Ce défi est bien connu dans la littérature des revues systématiques discordantes. Le croisement de divers types de preuves génère encore plus d’options d'éligibilité, de conception et d'analyse. Néanmoins, il convient de faire la distinction entre, d’une part les erreurs manifestes et les biais directionnels et, d’autre part, ce qui est défendable en matière d'éligibilité, de conception et d'analyse.

Si l'on tient compte de ces incertitudes résiduelles, il est rassurant de constater que les six évaluations examinées ici sont relativement cohérentes : le SRAS-CoV-2 est largement répandu et présente un IFR moyen plus faible que ce que l'on craignait à l'origine, ainsi qu'une hétérogénéité mondiale et locale substantielle. L'utilisation d'estimations plus précises de l'IFR peut conduire à de meilleures planifications, prévisions et mesures.

____ Ces notes ont été rédigées par le mpOC-Liège :

(1) Séroréversion : la séroréversion est la dégradation des anticorps apparus à la suite d'une infection. Ou le passage d’un état séropositif à un état séronégatif. Cette étude de la séroprévalence des anticorps du SRAS-CoV-2 (août 2021, Journal of Hospital Infection) conduite sur des travailleurs de la santé du Connecticut conclut que « Bien qu'il y ait un déclin du signal des anticorps de l'immunoglobuline G avec le temps, 60,5 % des travailleurs de la santé séropositifs avaient maintenu leur statut de séroconversion après une médiane de 5,5 mois ».

(2) CFR (case fatality rate) : taux de létalité apparent. La proportion de décès parmi les individus malades (ne comprend donc pas les asymptomatiques) de la population considérée pendant une période considérée. Le CFR est donc toujours plus grand que l’IFR. Ne pas confondre IFR et CFR avec le taux de mortalité qui exprime le rapport du nombre de décès par le nombre d’individus de la population considérée pendant la période considérée.